« Minuit approche. Le glas retentira, marquant le démarrage d’une nouvelle année et la fin de la vie de L.
Il y a quelques mois, les rues étaient remplies de badauds animés par une curiosité morbide, venus rendre un dernier hommage à notre généreuse souveraine. Aujourd'hui, ces mêmes charognards sont de retour, s'agglutinant à l'extérieur dans un amas grouillant, guidés par le besoin viscéral d'échapper à la morne routine dans laquelle ils se sont enfermés. Ils souhaitent sans doute oublier que leur existence est vide de sens, persuadés que le changement de chiffre qui s’opérera dans le calendrier apportera son lot de changement dans leur propre vie. Normalement, leur naïveté me ferait sourire, mais en cet instant précis, mon cœur est lourd. Contrairement à eux, je n’ai plus d’espoir.
Pendant que je retiens mes sanglots, les chants et les rires de certains olibrius s’amplifient dans l’atmosphère. L’ultimatum approche inexorablement, tout comme l’allégresse générale qui gonfle de manière irrépressible. Je suis étouffé par cet agrégat de bonheur, contradictoire avec la désolation qui grandit en moi. L’étau se resserre, implacable, comme les mâchoires d’un prédateur sur sa proie. Mes yeux s’embuent malgré moi en voyant mon infortuné compagnon suffoquer lui aussi. Le poison a progressé jusqu’à un point de non-retour et achèvera bientôt son œuvre, me privant du seul homme que je considérais comme un véritable ami. Dans cet océan de liesse, le poids de la perte à venir m’écrase totalement.
Alors que les cris hilares du peuple ne cessent de s’amplifier, signe que le décompte final approche, je sens sa main fébrile tenter de se resserrer autour de mon bras. Sous la pâle lueur de la lune, j’entraperçois ses lèvres exsangues se décoller avec beaucoup de peine. Je pense d’abord qu’il lutte pour respirer encore un peu – bien qu’il ne pourra gagner ce duel contre la faucheuse – mais finis par réaliser qu’il souhaite me parler. Un filet d’air mourant a remplacé son timbre de voix habituellement vigoureux. Le tumulte grandissant, je suis obligé de faire un effort de concentration surhumain pour réussir à percevoir ses paroles. Même penché, l’oreille au plus près de son visage, je l’entends à peine. La situation déjà atroce devient totalement insupportable lorsqu’il déclare :
– C’est P qui m’a empoisonné. Promets-moi de me venger. »